(Cet article a été publié dans la revue Musicien éducateur au Canada, Volume 54 – Numéro 3 – Printemps 2013)
L’été dernier, j’ai eu la chance de vivre une expérience qui alliait rencontre et création. J’ai eu la chance, et le défi, de diriger de jeunes musiciens de 15 à 25 ans provenant de plusieurs pays d’Europe et des Amériques lors de la création d’une de mes œuvres. Provenant de cultures variées séparées par la barrière des langues, ils partageaient toutefois un amour véritable pour la musique et la pratique de leur instrument.
Cela se passait au Festival Eurochestries qui se tenait en Charente-Maritime en France[1]. Cette rencontre exceptionnelle mettait en présence des orchestres et ensembles de Russie, d’Espagne, de Turquie, du Brésil, du Canada (Québec) et de France[2].
Échange culturel et obligation de performance
Je connais bien la pratique dans certaines écoles, chœurs ou orchestres amateurs, alors que l’un reçoit l’autre dans son pays ou sa ville. Les participants d’un groupe mettent la main à la pâte afin d’accueillir ceux qui les ont accueillis lors de la première partie de ces échanges culturels. J’ai aussi participé à des camps musicaux qui me permettaient de jouer avec d’autres musiciens des différentes régions du pays. Ces rencontres sont enrichissantes et excitantes pour les musiciens en herbe, et pour ceux qui ont déjà une certaine expérience du métier de musicien. Elles deviennent vite une source de souvenirs, d’expériences inoubliables et de fierté.
Mais les Eurochestries sont en fait le mélange d’un échange culturel tout en faisant partie d’un véritable festival, avec les obligations de performance qui s’y rattachent. Celui auquel j’ai participé cet été était particulièrement intense. Plus de 40 concerts y ont été présentés par les différents ensembles dans un territoire assez vaste, soit en Charente-Maritime dans le sud-ouest de la France, le pays du cognac et du pineau. De fait, les participants sont hébergés et nourris aux frais du festival. Seuls les frais de transport pour se rendre au festival sont la responsabilité des ensembles participants.
Créer une œuvre avec un orchestre de jeunes
Autre particularité, ma présence en tant que compositeur en résidence. Le festival avait comme thème « Saint-Exupéry : Hommage autour de son œuvre. En lien avec ce thème, le président du festival, M. Claude Révolte, m’a commandé une œuvre symphonique qui en ferait l’illustration musicale. La création de l’œuvre «Saint-Exupéry : de cœur, de sable et d’étoiles» est diffusée sur Internet[3].
Ma réflexion ici porte surtout sur le travail et la perception des jeunes musiciens qui unissent leurs talents et leurs efforts pour interpréter une création musicale pour laquelle ils n’ont aucune référence. Les jeunes interprètes ne sont pas différents du grand public. Ils ont une certaine appréhension de ce qui est inconnu. Et contrairement aux Massenet, Moussorsky, Strauss et autres compositeurs bien ancrés dans la mémoire collective, il est toujours plus délicat de proposer une œuvre nouvelle. Les langages harmonique, mélodique et, dans une moindre mesure, rythmique peuvent être rébarbatifs pour plusieurs. Mon expérience de création avec quelques écoles[4] m’a bien servie et j’en ai tiré quelques observations.
La sincérité de l’œuvre proposée
La sincérité me semble être la première qualité recherchée dans les rapports entre humains, mais aussi dans les compositions proposées. Qu’importe le type d’esthétisme proposé, cette sincérité doit être transmise de l’œuvre aux interprètes.
L’engagement
On doit aussi faire réaliser aux jeunes l’importance du geste de création auquel ils participent. En tant qu’interprète, ils sont un rouage essentiel non seulement à la transmission de la nouvelle pièce, mais ils ont aussi un impact sur certains éléments de la création. Ceux qui proposent les œuvres nouvelles – compositeur, professeurs, chefs – doivent aussi faire partager cet engagement, cet amour envers des expériences nouvelles. Repousser les limites du répertoire traditionnel avec le plaisir de la découverte.
La première lecture
Tout créateur doit agir prudemment devant la réaction des jeunes lors de la première lecture d’une nouvelle œuvre. On le sait, les jeunes ont peu de filtres. Ils font des commentaires directs pouvant parfois être blessants. C’est souvent une réaction légitime alors qu’ils vivent une situation musicale inhabituelle qui les sort de leur zone de confort. Il ne faut pas s’en formaliser. J’ai vu l’opinion de certains jeunes musiciens se transformer en un enthousiasme et un attachement profonds pour une musique qui, au départ, avait suscité des réactions négatives.
L’explication d’une œuvre
Le temps de répétition est précieux. C’est tout aussi vrai pour les professionnels que pour les titulaires en classe. Peu de temps est disponible pour expliquer les motivations de la pièce lorsqu’elles sont élaborées. La mécanique compositionnelle et l’observation des structures mélodiques, harmoniques et rythmiques sont mises de côté par manque de temps. Pourtant, les jeunes interprètes gagneraient à connaître ces informations, qui les aideraient à mieux saisir la réalité musicale et à se sentir plus engagés. Cela peut se faire sous la forme d’un petit document explicatif que les jeunes peuvent consulter.
La force de la musique d’aujourd’hui
Il ne faut pas sous-estimer la portée d’une musique actuelle dans le paysage musical. Il y a un attachement viscéral qui lie notre psyché musicale à notre environnement quotidien. Combien de fois ai-je vu des spectateurs fascinés par un effet sonore incorporé dans une pièce. Certes, on veut une musique qui puisse être compréhensible rapidement, mais elle a avantage à incorporer des techniques modernes. Les musiques à l’image sont souvent plus avant-gardistes que les pièces que les jeunes musiciens abordent en concert. C’est que souvent la musique contemporaine est un support naturel à l’image. Comme si les images proposées par le film soulageaient le spectateur du fardeau de créer ses propres images à l’écoute d’une musique non conventionnelle.
Une éducation qui prône le respect des autres cultures et des humains qui les composent va de pair avec une ouverture d’esprit. Il me semble important que les jeunes puissent affronter la peur de l’inconnu en ayant les outils qui permettent de décoder ce qui semble indéchiffrable au premier abord. Je crois que la musique d’aujourd’hui offre une occasion de mettre en pratique des mécanismes permettant aux jeunes de façonner leur compréhension du monde en les plongeant dans des univers musicaux éclatés.
Ce qui me ramène à l’expérience vécue l’été dernier. Non seulement il y avait la création d’une œuvre musicale, mais le contexte linguistique particulier ajoutait aussi au défi. Et tout comme ma pièce a peu à peu conquis les cœurs, des amitiés se sont soudées tout au long du festival. Des amitiés qui vont au-delà des langues, des cultures et de la musique!
[2] Orchestre national symphonique des jeunes de Turquie, sous la direction de M. Orhun Orhon
Le jeune orchestres symphonique de Soria (Espagne), sous la direction de Borja Quintas
Orchestre à cordes des jeunes de Moscou (Russie), sous la direction de M. Vasili Valitov
Orchestre à cordes des jeunes de Laval (Québec), sous la direction de Mme Manon Reddy
Chœur de garçon «Ladya» de Togliatti (Russie), sous la direction de Mme Galina Devyatkina
Ensemble de violons «VIVAlini» de Krasnoïarsk (Russie), sous la direction de Mme Elena Voytina
Quatuor de clarinettes «Ômega» de Rio de Janiero (Brésil)
Les jeunes solistes de France
Michaël Benyumov, chef invité de Krasnoïarsk (Russie)
[4] Compositeur en résidence, École FACE, Montréal, 2010
Ateliers de création, compositeur, Commission scolaire de la Pointe-de-L’Île, Montréal, 2010
Ateliers de création musicale, St. Dorothy Elementary School, Montréal, 2011